Confinement : une pause obligée qui dure ...

 

 

Sevrage mondial de tango, depuis huit mois en Europe, plus de sept mois en France ... (24/10/2020)

 

Depuis plusieurs mois le tango nous donne une nouvelle leçon : la pause obligée ... qui dure. En général, dans la danse, la pause est juste dictée et imposée par l'arrêt ou la suspension de la musique et ne dure pas très longtemps... entre deux phrases, deux danses ou deux milongas.  

Que se passe-t-il quand le tango libre n'existe plus que dans nos souvenirs, voire plus que dans notre mémoire corporelle, se trouve être en pause dans le monde entier et que des centaines de milliers de tangueros sont en sevrage plus ou moins consciemment douloureux d'une passion et d'un mode vie ? 

Quelques danseurs enseignants dont c'est le seul gagne-pain donnent encore des cours - il faut bien vivre - dans des restrictions sociales à mon avis difficilement compatibles avec l'esprit du tango qui veut que l'on aille vers l'autre, que l'on soit part d'un brassage mondial d'abrazos, d'expériences multiples et joyeuses, d'échanges corporels dansants sans autres barrières que celles que nous pourrions nous créer, que l'on se mélange les microbes, la sueur (beurk !), les parfums :), et non pas - situation oblige - que l'on s'évite et que l'on se méfie a priori de nos alter ego ... car la maladie et la mort rôdent derrière tout un chacun.

Quelques irréductibles antisociaux font les braves et défient le socius, organisant encore à ce jour des milongas par-ci par-là, sans masques ni gel, se font encore plus de "câlins abrazos" que d'habitude, en dépit de tout sens civique, dans un esprit totalement anti-tango qui veut avant tout que l'on fasse attention à tous les autres dans le groupe social du bal, même ceux avec lesquels on ne dansera pas, dans le respect absolu de l'altérité, comme dans le modèle de la circulation et des codes du bal. 

On n'est rien, on ne peut rien tout seul, on danse  avec l'autre, dans un groupe avec tous les autres ... Nous sommes tous solidaires et responsables pour que le bal se déroule bien et qu'il n'y ait pas de blessés ... ou de personnes " qui restent sur le bord du chemin " (Paroles de La vida es una milonga). Entendez bien sûr la métaphore avec notre situation actuelle. 

Pour certains, les chanceux qui sont en bonne santé et ont encore un travail, à travers le manque de notre pratique du tango, nous ressentons avec acuité ce que signifie le manque social, le manque de contact dans tous les sens du terme, le manque du groupe réuni par  " la même musique " et la même passion, au-delà de la danse qui paradoxalement n'est peut-être finalement pas la plus importante. Elle  est la partie centrale d'un tout qui la transcende.

Avec maintenant un an et demi de recul depuis la sortie de mon livre, Tango argentin et psychanalyse je peux dire que je suis fière d'avoir pu consigner et immortaliser dans ses pages, les apports universels du tango argentin pour l'humanité, sur les plans social, philosophique, psychologique, chorégraphique.