Traduction de l'interview pour Radio Sentidos à Buenos Aires (août 2014)

 

(Si vous souhaitez citer  tout ou partie de cet article, merci  de me demander l'autorisation et de citer vos sources)


http://www.dailymotion.com/video/x291ukg_cambio-la-palabra-del-futuro-b2_people?start=715 (ça commence à 8'36)

 

(Le sujet principal est l'utilisation du tango comme outil de communication et de développement personnel dans les groupes et organisations. "tango-communication")

 

Radio Sentidos: "Véronique Saféris se spécialise en tangothérapie. C'est une technique qu'elle a développé en France. Quand je lui ai demandé ce qu'elle faisait dans la vie, elle m'a dit  «je suis danseuse de tango et psychologue clinicienne», et cela m'a semblé très intéressant sa façon de se présenter. Elle est psychanalyste de la Société psychanalytique de Paris, elle est aussi membre de l' Association psychanalytique internationale. De plus elle est professeur de musique diplômée du Conservatoire de Paris. Elle travaille dans des groupes de psychodrame psychanalytique. En décembre 2013 l'année dernière, elle est allée au Congrès de tangothérapie à Rosario, où elle a été invitée à présenter son travail.

Elle travaille dans le développement personnel et dans la communication dans les organisations à partir du tango. C'était très intéressant tout ce qu'elle nous a raconté et nous allons l'écouter.

 

Radio Sentidos : J'aimerais que tu nous racontes ce que tu fais en rapport avec le tango dans ton travail au niveau professionnel, en rapport avec les organisations.

Véronique Saféris : Le tango m'a donné beaucoup d'idées, quand je l'ai rencontré il y a des années. Dans ce que je fais en ce moment, il y trois orientations différentes : l'orientation psychothérapique qui s 'adresse à des patients que je prends en charge après une consultation, et il y a ce qui je crois t'intéresse le plus, qui est le point de vue du développement personnel. Je propose des ateliers pour apprendre le tango mais du point de vue du développement personnel, ce qui veut dire que les gens viennent non seulement pour apprendre à danser mais aussi pour apprendre quelque chose sur eux-mêmes et sur l'autre. J'ai oublié de dire que je m'excuse pour mon espagnol parce que je ne peux pas m'exprimer comme je voudrais, mais j'essaye !

RS : cela va très bien, on comprend parfaitement, sois tranquille.

Continuons avec notre programme "Cambio la palabra del futuro". Je me rends compte que je n'ai pas dit ton nom ! Pourrais- tu expliquer comment tu en es arrivée à mélanger le tango avec la psychothérapie psychanalytique d' une part, et d'autre part avec le développement personnel pour les personnes dans les organisations.

VS : Quand j'ai commencé le tango, je me suis rendue compte que le tango change la vie. Tout le monde le dit autour de moi, quel que soit le pays : « le tango a changé ma vie - et continue à me changer la vie de jour en jour". Je l'ai constaté pour moi-même aussi, j'ai ressenti que le tango a changé ma vie. Le tango te met face à toi-même avec l'autre, donc c'est comme dans la vie mais en concentré. Tout est condensé dans un tango de trois minutes ou dans une tanda (série) de dix minutes avec trois ou quatre tangos. C'est comme tout ce que l'on vit dans sa vie, sur le plan émotionnel, psychologique, relationnel. Tout ce qui constitue le vécu de l'être humain pour lui-même et avec l'autre, à deux et dans un groupe, se trouve dans le tango. Tout est concentré dans le tango et dans la milonga (bal de tango). C'est comme le monde de la vie normale mais dans un temps contracté, plus court que dans la vie. Tout se vit en condensé. C'est pourquoi il se passe beaucoup de choses quand on danse le tango et en étant dans une milonga. En essayant par exemple d'inviter quelqu'un qui ne veut pas danser avec toi, cela te confronte aux choses très importantes de la vie, la frustration, le désir, la rencontre avec l'autre...

RS : Tu veux dire qu' en trois minutes le tango te confronte aux choses de la vie comme tu es confrontée aux choses dans la vie ? Quelles sont ces choses que tu considères quand tu travailles avec les personnes... A quoi sont-elles confrontées ?

VS : A la façon dont, quand je danse un tango, je le danse comme je suis, je ne peux pas danser d'une autre manière, parce que le corps ne peut pas dire autre chose que qui je suis. Ça ne peut pas se changer, donc, je suis ici-même comme je suis quand je danse un tango avec l'autre, qui est comme il est, qui il est. Nous sommes deux personnes, qui nous rencontrons en trois minutes avec qui nous sommes et que nous ne pouvons changer, parce que nous sommes comme nous sommes. Même si je veux être quelqu’un d'autre, je ne le peux pas avec mon corps. Je ne peux pas biaiser avec mon corps, je suis qui je suis, avec les tensions ou... cela n'est pas négatif, c'est juste une observation.

RS : une particularité de l'être humain...

VS : de toute manière lorsque nous dansons, nous dansons comme nous sommes. Dans la rencontre du tango dans l'abrazo (enlacement) avec un tempo musical de plus ou moins 60 à la noire, qui est lent, l'abrazo et la nécessité de communiquer avec l'autre pour pouvoir faire un pas, c'est cela qui est très particulier, c'est qu'il faut communiquer beaucoup et d'une manière intime pour pouvoir faire un pas ensemble qui soit agréable, en harmonie, et cela n'est pas si facile. C'est très difficile ! Faire un pas ou deux pas avec l'autre en harmonie avec la musique qui structure le couple de danse... c'est très difficile.

RS : Comment fais-tu le lien entre ce ce que tu viens d'exposer et ton travail dans les institutions, dans les entreprises ?

VS : Oui, nous ne l'avons pas dit, mais j'anime des ateliers de tango-communication. Je le fais en entreprise et pour des organismes qui me le demandent. C'est une façon de travailler la communication. Dans une équipe par exemple, on peut travailler les questions de communication grâce au tango parce que l'essence du tango est la communication. C'est un circuit de communication: comment se passent les choses sans parler, parce qu'il s'agit de langage du corps.

Par exemple, je suis dans les bras d'un homme que je ne connais pas, et nous allons nous rencontrer comme cela, même si nous ne nous disons pas bonjour, nous ne nous connaissons pas encore et c'est de cette façon que nous allons nous connaître, en entrant en contact physique. Cette médiation est très intéressante pour travailler avec les entreprises, avec des équipes, des groupes, en fait avec n'importe quel groupe véritablement, que ce soit en entreprise ou avec n'importe quelle forme d'organisation.

RS : Quels sont les résultats que tu as vus à partir de ce travail avec les groupes ?

VS : C'est une manière très originale de se poser des questions d' une façon divertissante, de voir ses collègues d'une autre façon, de connaître l'autre d'une façon non verbale. Après on peut se parler, mais lors de la première rencontre on ne se parle pas, on fait des exercices avec les outils du tango.

RS : Bien, et les résultats que tu obtiens ?

VS : Les gens se posent des questions. Quand on ne l'expérimente qu'une fois, c'est juste une ouverture, comme: « ah, je n'avais jamais pensé que cela... »

RS : Par exemple, une entreprise te demande, « je voudrais travailler sur …" quel plan ?

VS : Par exemple, je suis intervenue pour l'Université Paris-Dauphine, qui enseigne la finance, l'économie. Donc ce sont des étudiants qui ne développent pas beaucoup leur communication, leur façon d'entrer en contact avec l'autre; qui sont différents d'étudiants en théâtre ou en danse ou en sciences humaines. Ils ont été très intéressés par le travail que j'ai fait avec eux une fois par mois, pendant toute une année universitaire. A chaque fois nous pouvions constater les progrès en communication. Ils avaient compris des choses qui leur étaient » invisibles » avant, et qui leur sont devenues conscientes grâce aux exercices et aux temps de parole qui avaient lieu dans ces ateliers.

RS : et finalement, un témoignage de l'un de ces étudiants à la fin de l'année ?

VS : et bien , ils étaient très enchantés ! Il y en a eu qui ont voulu venir apprendre le tango ou tout simplement d'autres m'ont dit qu'ils n'oublieraient jamais cette expérience dans leur vie de manager ou de trader ou de ...

RS : et à toi Véronique, avec ton travail là-bas en France, des personnes particulières ou des entreprises vont te demander ...

VS : n'importe quelle personne peut me demander une intervention que je fais ainsi avec le tango et la psychanalyse. Je m'adapte à la demande, j'écoute les besoins qu'expriment les personnes ou les entreprises et après je fais une proposition. Puis je vais donner les d'ateliers et je m'adapte à ce que je trouve quand je rencontre un groupe, des groupes. Tout n'est pas figé quand j'arrive. Je m'adapte à ce que j'entends, à ce que je vois, à ce qui se passe.

RS : Tu crées en fonction de la demande...

VS : Tout à fait, j'ai mes outils, j'ai toutes mes idées, et ensuite je m'adapte à ce qui se passe.

RS : Peux-tu identifier quels sont les aspects généraux que tu travailles avec les personnes qui participent à tes ateliers, que considérerais-tu comme un dénominateur commun ?

VS : Le circuit de communication, comment je communique, comment j'entre en contact, comment je peux demander ... par exemple, un chef qui va demander quelque chose....

RS : à quelqu'un qui travaille avec lui ?

VS : oui, si quelque chose lui paraît normal ou évident, en fait cela n'est pas évident pour l'autre parce qu' un mot signifie quelque chose pour lui qui signifie autre chose pour l'autre...Ceci par exemple peut arriver souvent : « Ah ! Je voulais te faire faire un pas de cette façon, pourquoi tu n'as pas compris ? Alors l'autre peut répondre : «  Mais moi j'ai senti cela, toi tu voulais me faire sentir ça mais moi j'ai senti cela... En fait, nous disons immédiatement ce que nous ressentons lors des exercices corporels à partir des consignes que je donne aux participants.

RS : ici en Argentine, tout ce qui est du domaine du sentir, nous l'appelons kinesthésie. En France je ne sais pas si on peut dire cela ?

VS : oui cela peut se dire mais je préfère parler en français de sensations : ce qui se perçoit et qui ne se dit pas, ou ce qui serait évident en parlant mais que l'autre personne reçoit différemment et qui est à la source des incompréhensions et des difficultés de communication.

RS : ces sensations que ressent chaque être humain depuis qu'il existe et qui génère de nouvelles sensations, on peut les apprendre ?

VS : apprendre... cela se fait lorsque nous sommes tout bébé, jeune enfant, on « apprend » à les développer lorsque nous grandissons. En fait, je pense que nous sommes comme nous sommes et que nous pouvons rendre consciente la façon dont nous fonctionnons. À partir du moment où nous le savons, nous pouvons commencer à changer. C'est comme le processus psychanalytique, c'est pareil, nous ne savons pas comment nous fonctionnons à l'intérieur, mais à partir du moment où nous le savons, alors nous pouvons décider de changer ou pas. Même seulement savoir comment nous sommes aide beaucoup dans la communication, et surtout accepter comment nous sommes. Pas tant changer que de savoir comment nous fonctionnons et l'accepter et nous aimer nous-mêmes et l'autre comme nous sommes.

RS : tu as déjà répondu à quelque chose que je voulais te demander, mais je vais te le demander pour renforcer peut-être un peu : à quoi cela nous sert-il de nous connaître ?

VS : et bien, pour être plus heureux ! Il me semble !

RS : plus heureux ! Ni plus ni moins !

VS : on est plus heureux si on se connaît et que l'on peut choisir son chemin dans la vie, également pour entrer en contact d'une manière plus spontanée avec l'autre, avec les autres, et savoir où je suis, où tu es, que tu peux être différent de moi, que je te respecte, que tu me respectes, être dans une relation saine avec moi-même et avec les autres.

RS : bien, ça m'a plu ! Mais je voulais te demander de nouveau parce que tu l'avais mentionné dans notre entretien préliminaire. Je t'ai écoutée et pour moi cela signifie beaucoup d'être heureux, ni plus ni moins: se connaître soi-même, pour pouvoir être heureux. Pendant que tu parlais, je me demandais s'il y avait autre chose que tu utilisais à part le tango, pour travailler dans ces ateliers, par rapport à ta connaissance du point de vue technique, à ta connaissance du tango, s'il y avait un autre aspect que tu avais développé ?

VS : oui tout à fait. J'utilise tout ce que j'ai fait dans ma vie. J'ai mis tout le meilleur de ce que je sais faire et de ce que j'ai compris jusqu'à ce point de ma vie. J' ai mis tout le meilleur de moi dans ce que je propose ; c'est à dire que j'ai fait beaucoup de musique, beaucoup d'arts, beaucoup de danse, beaucoup de psychanalyse, beaucoup de psychologie, beaucoup de disciplines corporelles; et tout ceci avec ma personnalité a donné ces ateliers que je propose maintenant dans différentes perspectives. Je fais aussi des ateliers d'improvisation, de création chorégraphique, de développement personnel avec le tango, j'enseigne aussi le tango, et cette recherche que je fais, j'essaie de la partager avec les autres.

RS : bien. Il est temps de te remercier d'avoir participé à cet interview.

VS : merci à toi.

RS: pour ceux qui nous écoutent et qui n'ont pas la possibilité de te voir, je veux leur transmettre qu' à part la voix que tu as, ta forme de corps et cette splendeur que tu as dans le visage … Tu rayonnes de ce que tu dis dans ton corps. On voit que tu es quelqu'un de joyeux, d'amusant, que tu as ce que tu viens de raconter dans cette interview. C'est un plaisir pour moi de t'avoir interviewée.

VS : merci . Un plaisir pour moi aussi.

RS : merci et nous espérons que ce que tu fais qu'il m'a paru si important de diffuser pourra se faire plus et mieux, partout.

VS :Oui bien sûr !

RS merci beaucoup d'avoir participé à notre programme.

 

 

Commentaires hors interview entre les deux journalistes :

-Excellente l’interview que nous avons faite avec Véronique. Excellent ce travail qu'elle nous a raconté et que nous ne mettons pas habituellement en relation avec le travail dans les organisations : le tango.

-Oui, cette possibilité d'aller au plus profond de nous-mêmes pour pouvoir changer à partir de là les relations, d'où nous sommes.

-Nous les argentins, nous invitons les professionnels des organisations qui nous écoutent à commencer à investiguer ce sujet du tango et de la tangothérapie. Je veux te raconter une phrase qui m'a beaucoup plus dans ce qu'elle a dit, qui est : « Je suis ici-même quand je danse le tango avec ce que nous sommes ».

-Quelle belle phrase pour terminer !"

 

Buenos Aires, août 2014, diffusée le 3/10/2014